samedi 5 décembre 2009

Le Chaos règne dans l'esprit de Lars Van Trier





Antichrist de Lars Van Trier



Antichirist est un film gâché par le génie même de son réalisateur. L’histoire et le filmage avaient pourtant démarré sur les chapeaux de roue, une beauté plastique et visuelle hors norme se dégageait des premières images du film. Un couple, un homme et une femme, filmés au ralenti en noir et blanc sur le fond d’une musique de Haendel, font l’amour dans un salle de bain, tandis que leur enfant, livré à lui-même, sort de sa chambre et se jette d’une fenêtre. Les premières images sont belles de par le contraste qu’elles opèrent : contraste entre le découpage haché et rapide, les plans secs, la caméra renversée, et la lenteur du ralenti ; contraste entre l’aspect clinique, hygiénique, profane du lieu dans lequel le couple fait l’amour, cette salle de bain blanche, et le lyrisme de la musique qui semble nous transporter dans un espace temps métaphysique et archétypal. Contraste entre les plans horizontaux du couple en train de copuler, renversés sur leur lave-linge, et la verticalité de la chute de l’enfant, happé, absorbé par le vide.
L’extrême stylisation de la mise en scène dans cet incipit au film renvoie le spectateur à une sorte d’image originelle, prélude à une plongée dans les abîmes de l’inconscient. Cependant, dès les premières images un problème surgit, qui gâche déjà le plaisir visuel : le montage parallèle entre le couple faisant l’amour et l’enfant qui meurt établit une relation de cause à effet entre ces deux phénomènes, l’amour et la mort, désigne déjà les thèmes de la culpabilité, inscrite dans un référent culturel judéo-chrétien trop évident pour ne pas être louche. Le cinéaste place déjà ses personnages dans un carcan symbolique trop dogmatique, les enserre dans l’orbite omnisciente, culpabilisante, surplombante de l’œil de la caméra. Les thèmes d’Eros et thanatos, de la copulation et de la chute, de la faute originelle, sont dès lors le moteur du film et du scénario, et vont lâcher dans le film leur poison moralisateur.
Après cette ouverture stylistiquement réussie et thématiquement dérangeante, le cinéaste nous place face à ce couple qui tente de survivre à la mort de l’enfant et de vivre avec le sentiment de faute. Elle (Charlotte Gainsbourg, absolument épatante) est prise de phobies diverses, elle est en proie au délire et à une douleur écrasante, totalement immaîtrisable ; Lui psychothérapeute tendance cognitiviste-comportementaliste, tente de lui venir en aide par des exercices divers (contrôle de la respiration ; confrontation avec les images qui lui font peur , etc). Afin d’endiguer les forces de l’inconscient qui travaillent l’esprit et l’être de sa femme, il croit bon de l’emmener vers Eden, un endroit dans la forêt où le couple avait connu jadis le bonheur avec son enfant, afin de la confronter avec les images même de son passé et ainsi de les désamorcer, croit-il, avec cet optimisme irritant du positivisme scientifique. Mais les choses se passent autrement : à Eden, les forces du mal se déchaînent ; de même que se déchaîne l’imagination délirante, morbide, répugnante d’un cinéaste qui ne sait plus où donner de la tête dans le fatras idéologique, symbolique et référentiel dans lequel il s’empêtre. En fait, ce qui fait problème dans le film c’est que le cinéaste tout autant que ses personnages sont en proie à des tendances délirantes. Le film traite avec une surcharge symbolique lourde des thèmes divers, assemblés et empilés les uns sur les autres, en un amas indigeste : il amalgame une psychanalyse de bazar, dont on ne sait plus en fin de compte si elle participe de Freud ou de Jung, tant le cinéaste s’emmêle les pinceaux dans les diverses références aux thématiques psychanalytiques (ainsi, l’inconscient collectif et les thèmes de l’archétype, du symbolisme animiste chers à Jung et la présence de résidus freudiens tels que la sexualité en tant que moteur des névroses individuelles) ; une thématique judéo-chrétienne, sans queue ni tête, mêlant les imageries du Christ, de la sorcellerie, les symboles de la croix, de la roue de la torture, etc ; une imagerie naturaliste et écologiste, avec des animaux qui parlent, une nature que le cinéaste veut bruissante de présence mais qu’il rend vrombissante et tonitruante. En somme, le « Chaos règne », non pas dans la nature externe et interne, comme le suggère le renard parlant dans le film (scène qui a fait ricaner pas mal de gens dans la salle tant elle était grotesque) mais dans l’esprit de Lars Van Trier.
Et puis, le mélange des genres est tout aussi déroutant et lourdingue que les divers arrières fond culturels et symboliques dont le film est surchargé. La première partie est plutôt bergmanienne, rejouant la confrontation entre le couple et le déchirement qu’il génère, avec cette étude clinique réussie des différences entre les réactions de l’homme et de la femme face à la douleur (un peu cliché quand même, mais bon); ensuite, il vire vers une tendance plus tarkovskienne, lorsque les deux personnages partent vers Eden pour découvrir les forces naturelles qui sont en eux, un peu à la manière de Solaris ; vers la fin, le film vire carrément vers le film d’horreur et gore, il est aussi débile et sans fond que « massacre à la trançonneuse », la prétention intellectuelle et artistique en plus.
A la fin du film, le spectateur sort lessivé par tant d’images chaotiques et laides, assommé par le martelage symbolique du cinéaste.