samedi 26 avril 2014

Présences et paysages dans PINA de Wim Wenders


Le projet du film est né bien avant la mort de la chorégraphe, décédée en 2009. Comme il le raconte dans quelques interviews accordées a la sortie du film, Wim Wenders avait éprouvé un choc esthétique la première fois qu'il avait vu les spectacles de Pina à qui on rendait hommage au théâtre de la Fenice de Milan. Peu de temps après il conçût l'idée de faire un projet commun avec celle qui était devenue son amie, mais il n'arriva a trouver l'approche pour filmer la danse qu'à la suite de sa découverte de la 3D.



Wim Wenders, cinéaste des errances et des espaces, surtout les lieux de collision entre la mythologie et la topographie modernes (dans Les ailes du désir, les promenades mélancoliques et pensives d'anges déchus dans Berlin; dans Paris-Texas, le Far West dont surgit le personnage principal ) tout en mettant au service de la danse, continue a creuser ses obsessions propres. Dans Pina, il développe tout au long du film une dialectique entre l’intérieur et l’extérieur. Les scènes de danse dans un théâtre imaginaire reprenant les chorégraphies de Pina Bausch se mêlent aux scènes de danse dans la nature qui semblent plutôt surgir de l’inspiration propre au cinéaste. Cela donne un film qui semble à la fois capter l’essence de l’art de Pina mais également la merveilleuse ubiquité que permet le cinéma. Pina avait fait entrer la nature dans ses spectacles, comme dans Vollmond où une grande roche noire posée au milieu de la scène se faisait l’incarnation d’une présence élémentaire, géologique ou dans Le Sacre du Printemps le tapis de terre sur lequel les danseurs se frottaient et avec lequel leurs habits et leur chair semblaient se confondre. Wim Wenders comme dans un miroir sort les danseurs de l’espace du théâtre pour les faire entrer dans le paysage, cette fois-ci non plus suggéré ou symbolisé mais réel. Il y’a dans le film ce dialogue entre une urbanité avant-gardiste d’un Wuppertal aux allures futuristes, avec ses usines monumentales désaffectées, ses tramways aériens et ses intersections de routes, et les paysages naturels, d’une beauté grandiose et solitaire, sur le fond desquels les corps parfois délurés, parfois mélancoliques des danseurs se pâment et se tordent. Les paysages et les extérieurs ne sont jamais un décor, mais un vrai personnage de cette saga géologique et tellurique de la danse. Ce dialogue entre les paysages figurés dans l'espace théâtral, rendant aux objets et aux corps leur présence archétypale, et leur mimesis instaurée par le film inverse le rapport entre la nature, la réalité et l'abstraction crée par l'art.



Le film de Wenders tranche avec les hommages aux artistes disparus : pas de verbiage interminable sur les vertus et la beauté du personnage, ni d’excès de documentaires nostalgiques retraçant la figure et le parcours de la chorégraphe ; au contraire, très peu d’images d’archives et juste quelques phrases simples et concises prononcées par les danseurs de sa compagnie évoquant avec beaucoup de retenue les moments les plus marquants de leur rapport. 

Mais cela ne rend que d’autant plus fort l’impact des quelques images d’archives utilisées, surtout celles où Pina danse dans « Café Muller », présence fantomatique, comme surgie des limbes, avec ce corps maigre aux gestes si fluides qu’ils semblent ceux d’un spectre, ces bras dessinant avec des mouvements amples et déliés, comme sans articulation, l’espace de mélancolie et de perte qui se trouve entre elle et le monde. Ces images deviennent poignantes, non seulement par la majesté inégalée de cette danseuse, dont tout l’être semble hanté par la danse, mais parce qu’elles préfigurent sa propre mort et qu’ils annoncent son effacement.