Goodbye Morocco est à la fois un polar et une tragédie, aux accents de film noir hollywoodien avec un personnage de femme fatale ainsi qu’une radiographie réaliste de l’exploitation sociale et des questions sous-jacentes de l’immigration et des frontières. A Tanger, la découverte d’une fresque datant de l’ère chrétienne dans les catacombes qui gisent sous le chantier de construction d’une nouvelle aire résidentielle déchaîne les passions. Donia, une marocaine divorcée, avec un enfant dont elle n’arrive pas à obtenir la garde ; Dimitri, son compagnon Serbe installé au Maroc ; Gabriel, un ouvrier sans papiers qui travaille sur le chantier et qui veut traverser clandestinement le détroit de Gibraltar vers l’Espagne et Ali, le chauffeur de Donia qui lui est dévoué corps et âme, tous ces personnages sont au centre d’un drame dont on comprend peu à peu les enjeux, car le réalisateur distille les informations de manière parcimonieuse, en jouant avec les codes du film noir. Film vertigineux de par les thèmes qu’il brasse de manière très subtile, sans verbiage mais avec une grande maîtrise de l’écriture cinématographique, Goodbye Morocco nous parle de l’état du monde, dans cette ville charnière qui est aux confins de l’Afrique et qui est devenue la plaque tournante de l’immigration et le point de cristallisation de tous les désirs de départ vers un ailleurs.
Ce
qui se joue dans ce film, c’est à la fois un drame intime et mondial, le point
d’enchevêtrement entre les désirs personnels d’accomplissement de milliers de
gens qui regardent avec envie l’Eldorado tout proche de l’Europe, et les
entraves qui encerclent les personnages dans un enlisement temporel et
géographique, les empêchant d’atteindre cet ailleurs. On comprend que le cœur
du film de Moknèche, ce sont les rapports de
domination de toute sorte qu’il explore par cercles concentriques, ceux entre
les classes sociales, entre les hommes et les
femmes, entre le Nord et le Sud, et qui frappent les personnages d’une espèce
de malédiction qui les condamne au piétinement et à la tragédie. La circulation
des corps est en effet impossible dans ce monde où les frontières de l’Europe
deviennent inatteignables, alors que la circulation des objets, tels que cette
fresque du VIème siècle convoitée par les historiens, les musées et les
collectionneurs est beaucoup plus facile et se fait au gré des tractations et
des trafics. Au désir de circulation des personnages, s’oppose ainsi la
circularité d’un espace-temps dans lequel ils sont enfermés, illustré par un
montage éclaté où le passé et le présent s’imbriquent sous le signe de la
répétition et de l’ellipse.
Le film brasse les portraits et les genres, les
thèmes et les atmosphères, tout en ayant une unité esthétique très
particulière, avec un hommage appuyé au cinéma, les clins d’œil aux grands
films de l’histoire du cinéma étant fréquents, à la fois explicites et
implicites, comme l’affiche de Parle avec Elle de Almodovar projeté dans le
cinéma de l’un des personnages, ou la scène du transport dans les airs de la fresque,
filmée de la même manière que le transport par hélicoptère de la statue du
Christ dans La Dolce Vita de Fellini.