Van Gogh, film
de Alain Resnais
Même si l’incipit du film déclare que son intention est
de tenter de « retracer, uniquement à l’aide de ses œuvres, la vie et
l’aventure spirituelle » de Van Gogh, Alain Renais ne se contente pas de
faire l’autobiographie de la vie tourmentée du peinte à travers la succession
de ses tableaux et la voix off du narrateur qui retrace son parcours. S’il ne
s’agissait que de cela, le film n’aurait eu qu’un intérêt limité, car il
n’aurait pas saisi ce que le cinéma ajoute potentiellement à la peinture :
non pas l’animation d’images fixes, non pas de faire, à travers les mouvements
de la caméra et les cadrages, un découpage objectif et narratif dans les
tableaux, pour leur rendre une certaine temporalité linéaire, mais bien
l’entrée dans la conscience du personnage, en restituant sa folie, ses
tourments intérieurs. Articuler des plans, c’est donner à voir de l’intérieur
des niveaux de conscience, comme le disait Serge Daney. Le film de Resnais donne chair à cette idée, puisque
la conscience intérieure du personnage Van Gogh est son sujet même, déployé
tout au long du film dans l’enchainement des plans. Si le début du film
s’apparente à la narration descriptive classique, avec des plans objectifs sur
les paysages, les visages et les lieux peints par Van Gogh, succession qui
semble dérouler le temps objectif de sa biographie, on bascule au milieu du
film dans un ordre subjectif, dans une temporalité éclatée à l’image du monde
intérieur du peintre. Les nombreux autoportraits qui se succèdent introduisent
le point de vue du personnage Van Gogh, rendant ainsi tous les autres plans sur
sa peinture apparentés à des plans subjectifs. Le découpage que fait le
cinéaste dans la peinture épouse cette alternance entre le plan subjectif et
objectif, pour saisir les visions intérieures du personnage Van Gogh. Il y’a
une dialectique entre l’autoportrait, le gros plan sur un détail de la
peinture, et la voix off du narrateur, qui nous plonge littéralement dans son
état de conscience. Les plans deviennent de plus en plus saccadés, de plus en
plus courts, au fur et à mesure que l’on s’immerge dans l’univers de la folie
intérieure du peintre. Dans une séquence clé du film, le basculement vers la
folie s’opère. Sur la phrase « un jour, il sent l’apparence des choses lui
échapper », succession d’un plan large du tableau avec un oiseau, ensuite
changement brusque d’échelle de plan, grossissant le détail de l’oiseau, le
troisième plan vient intercaler le portrait du peintre portant ses palettes,
avec un brusque mouvement de caméra à droite fixant son ombre au sol. On aura
ensuite une alternance entre les nombreux autoportraits de Van Gogh, et les
gros plans, grossissant des choses, des objets, des détails, sur ses toiles,
comme autant de signes de la distorsion intérieure de sa conscience. Des plans
de plus en plus rapprochés, de plus en plus grossissants, sur son regard où se
déroule le drame intérieur. La musique, de plus en plus dissonante, martèle ses
notes dans un tournoiement sériel qui reproduit aussi l’univers sonore de la
discordance intérieure. Ce petit film de 17 minutes, est essentiel pour saisir,
dans le « regard caméra » avant la lettre de Van Gogh, tout son
rapport au monde, à la nature, et surtout à ses tourments qui lui ont fait
jeter sur la toile tout son être flamboyant en un ultime geste de création
désespérée.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire