samedi 16 janvier 2016

Caméra, Peinture et états de conscience

Van Gogh, film de Alain Resnais




Même si l’incipit du film déclare que son intention est de tenter de « retracer, uniquement à l’aide de ses œuvres, la vie et l’aventure spirituelle » de Van Gogh, Alain Renais ne se contente pas de faire l’autobiographie de la vie tourmentée du peinte à travers la succession de ses tableaux et la voix off du narrateur qui retrace son parcours. S’il ne s’agissait que de cela, le film n’aurait eu qu’un intérêt limité, car il n’aurait pas saisi ce que le cinéma ajoute potentiellement à la peinture : non pas l’animation d’images fixes, non pas de faire, à travers les mouvements de la caméra et les cadrages, un découpage objectif et narratif dans les tableaux, pour leur rendre une certaine temporalité linéaire, mais bien l’entrée dans la conscience du personnage, en restituant sa folie, ses tourments intérieurs. Articuler des plans, c’est donner à voir de l’intérieur des niveaux de conscience, comme le disait Serge Daney. Le film de Resnais donne chair à cette idée, puisque la conscience intérieure du personnage Van Gogh est son sujet même, déployé tout au long du film dans l’enchainement des plans. Si le début du film s’apparente à la narration descriptive classique, avec des plans objectifs sur les paysages, les visages et les lieux peints par Van Gogh, succession qui semble dérouler le temps objectif de sa biographie, on bascule au milieu du film dans un ordre subjectif, dans une temporalité éclatée à l’image du monde intérieur du peintre. Les nombreux autoportraits qui se succèdent introduisent le point de vue du personnage Van Gogh, rendant ainsi tous les autres plans sur sa peinture apparentés à des plans subjectifs. Le découpage que fait le cinéaste dans la peinture épouse cette alternance entre le plan subjectif et objectif, pour saisir les visions intérieures du personnage Van Gogh. Il y’a une dialectique entre l’autoportrait, le gros plan sur un détail de la peinture, et la voix off du narrateur, qui nous plonge littéralement dans son état de conscience. Les plans deviennent de plus en plus saccadés, de plus en plus courts, au fur et à mesure que l’on s’immerge dans l’univers de la folie intérieure du peintre. Dans une séquence clé du film, le basculement vers la folie s’opère. Sur la phrase « un jour, il sent l’apparence des choses lui échapper », succession d’un plan large du tableau avec un oiseau, ensuite changement brusque d’échelle de plan, grossissant le détail de l’oiseau, le troisième plan vient intercaler le portrait du peintre portant ses palettes, avec un brusque mouvement de caméra à droite fixant son ombre au sol. On aura ensuite une alternance entre les nombreux autoportraits de Van Gogh, et les gros plans, grossissant des choses, des objets, des détails, sur ses toiles, comme autant de signes de la distorsion intérieure de sa conscience. Des plans de plus en plus rapprochés, de plus en plus grossissants, sur son regard où se déroule le drame intérieur. La musique, de plus en plus dissonante, martèle ses notes dans un tournoiement sériel qui reproduit aussi l’univers sonore de la discordance intérieure. Ce petit film de 17 minutes, est essentiel pour saisir, dans le « regard caméra » avant la lettre de Van Gogh, tout son rapport au monde, à la nature, et surtout à ses tourments qui lui ont fait jeter sur la toile tout son être flamboyant en un ultime geste de création désespérée. 

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