jeudi 31 janvier 2008

le cinéaste et le magicien


La voie lactée de Luis Bunuel


La voie lactée est un film étrange, à la fois satirique, mystique, surréaliste et mystérieux, dans lequel Luis Bunuel mélange les genres avec le même bonheur et la même exaltation que d’autres de ses films tels que Veridiana ou Belle de jour. On y retrouve cette même ironie, ce détournement des symboles et du discours chrétien en une espèce de pastiche drôle et irrévérencieux. Le christianisme est sans doute l’un des thèmes fétiches de Bunuel, qui l’intègre dans nombreux de ses films, soit d’une manière directe tel que Veridiana, où de nombreuses scènes sont une parodie de scènes de la Bible, soit d’une manière indirecte, par la critique sous-jacente des valeurs et des idées du catholicisme. La voie lactée est cependant le seul film de Bunuel qui soit entièrement consacré à l’illustration des croyances, des dogmes et des manifestations de la foi chrétienne. Le sujet du film est assez simple : deux pèlerins qui font à pied le pèlerinage vers Saint Jacques de Compostelle rencontrent sur leur chemin des personnages et vivent des scènes appartenant à des époques et à des périodes différentes de l’histoire chrétienne, et qui illustrent toutes les querelles théologiques et les contradictions entre différents dogmes de l’église catholique. Mais si l’intention de dénonciation et de ridiculisation de cette rhétorique dogmatique et de ces discussions interminables sur le principe de transsubstantiation, sur l’eucharistie, sur la nature de la Sainte trinité, sur l’existence des miracles sont dominantes dans le film et constituent des moments délectables d’ironie et de parodie, il ne s’agit là que d’un des aspects du film. Si Luis Bunuel s’était contenté de cette dimension purement critique de la religion chrétienne, son film n’aurait été qu’une dénonciation grossière du fanatisme religieux. Or le film tire sa force non de cette distance que le cinéaste introduit entre lui et les différents discours sur la foi, mais par la fascination que ce discours peut exercer. Il n’y a pas de vraie condamnation de la bêtise théologique, plutôt une sorte de perplexité admirative devant ces discours qui ont fait l’histoire du monde chrétien, et qui apparaissent aujourd’hui avec toute leur superbe absurdité aux yeux des modernes. Il y a surtout une fascination devant les immenses possibilités du cinéma. Bunuel entremêle avec un égal bonheur des scènes appartenant à des registres et des époques différentes, allant des scènes montrant un Christ débonnaire et humain, à des scènes Moyen age, passant à des évocations de sectes christiques vivant entièrement dans le culte de Jésus et parlant le latin, sautant ensuite vers la querelle théologique dans l’Eglise entre les partisans de la nature triple de la Sainte trinité et ceux du caractère unique et indivisible de Dieu, etc. Cette juxtaposition temporelle et thématique entre différentes scènes hétérogènes n’est cependant pas linéaire. Une espèce de contamination s’opère entre les personnages et les objets, certains d’entre eux passent d’une scène à l’autre, se transforment, faisant ainsi le lien entre des moments différents et hétérogènes. On a l’impression d’assister à un numéro de prestidigitateur, qui tire de son chapeau avec une égale conviction et enthousiasme un lapin, un sac en cuir, une courgette et un sapin de Noël. Le bonheur que l’on éprouve en visionnant La voie lactée tient à cette magie qui se fout de la vraisemblance, qui s’appuie uniquement sur la virtuosité du cinéaste et le caractère cocasse, beau ou frappant des scènes pour marquer durablement le spectateur.

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