jeudi 31 janvier 2008

Le Grand Pardon



Daratt de Mohamed Salah Haroun


Le jour où la Commission Vérité et Réconciliation annonce à la radio une amnistie générale au Tchad pour tous les criminels de la guerre civile qui a sévi dans le pays dans les années 80, un grand père ordonne à son petit-fils, Atim, d’accomplir une mission vitale : partir pour Ndjamena se venger de l’assassin de son père. Sur le canevas de cette histoire qui gravite entre le politique et l’intime, le cinéaste tisse un film d’une grande beauté visuelle, qui se maintient sur un fil ténu entre la surcharge du sens et l’épure des plans. Atim finit par retrouver la trace de Nassara (la présence féline des deux acteurs est à elle seule une splendeur). Celui-ci l’engage comme apprenti boulanger et lui apprend les rudiments du métier.

Entre l’adolescent ombrageux et taciturne qui n’a que la vengeance comme obsession et l’assassin repenti qui tente de racheter son passé de violence par une conduite pieuse et des élans de charité, une relation complexe s’installe tout au long du film. Dans la chaleur étouffante des fournaises, dans ce mélange de sueur, de torpeur et de labeur le désir de vengeance, les horreurs du passé et les pulsions de mort se délitent, sont pétries comme le pain pour donner lieu à un autre sentiment, à une nouvelle conscience : celle du pardon. La beauté splendide du film réside dans cette correspondance entre l’enjeu intime des consciences et le tissage répétitif du quotidien, entre le mental et le manuel, entre la torture morale de la vengeance et l’apaisement dans les gestes les plus élémentaires. Le cinéaste, en de longs plans attentifs et tendus installe ces deux corps rutilants dans cet espace limite, dans cette promiscuité torride qui peu à peu les transforme.

Ce n’est pas un hasard si le cinéaste a choisi le métier et le travail du pain comme force de transmission. Les scènes où les deux personnages travaillent côte à côte pour donner vie à cette matière élémentaire et millénaire sont parmi les plus belles de tout le film, parce qu’elles placent les relations entre les personnages dans cette dialectique entre les forces de vie et les forces de mort. Comme si la rédemption devait d’abord passer par la transmission de la vie. Le thème de la transmission est d’ailleurs présent tout au long du film. Au grand-père qui ne transmet à Atim qu’un pistolet, symbole de ce passé de violence et de haine, s’oppose Nassara qui lui transmet un métier et lui donne ainsi les moyens de sortir de la délinquance dans laquelle il était tombé en arrivant à Ndjamena.

Le film est également riche non seulement par sa thématique et ses nombreuses trouvailles mais également par sa condensation de sens et de genres: il est à la fois un huis-clos policier, un film aux dimensions politiques et sociales multiples, une réflexion sur le pardon et l’amnistie, et surtout un de ces films d’affrontement entre les personnages, faits de ballets silencieux des corps et de jeux de regards suspendus. Il atteint parfois un tel niveau d’abstraction qu’on pourrait penser à un Bergman africain.

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